Transition numérique : l’agriculture répond « présente »

Pas « geeks » les agriculteurs ? Le cliché semble bien ancré, mais il ne résiste pas à la démonstration, comme l’a montré le Forum de l’Agriculture Digitale et Durable.

La première édition du Forum de l’Agriculture Digitale et Durable (FA2D) a eu lieu ce lundi 1er avril 2019 à Auch, dans les locaux du CIRCa (le Pôle National du Cirque). Le déroulé du rendez-vous a permis de contredire une idée reçue qui encombre de nombreux discours et selon laquelle le monde agricole serait peu friand des outils du numérique. Durant toute cette journée, près de 20 intervenants et 250 acteurs de l’agriculture ont démontré qu’il n’en était rien. Le forum (20 exposants) a été inauguré par Pascal Herman, un des fondateurs de Gascofarming, Edouard Forzy, Président de La Mêlée (les deux associations co-organisaient l’événement) et Jean-René Cazeneuve, député du Gers (LREM), qui parrainait la manifestation.

4 tables rondes, 5 keynotes et 6 démos

La première keynote était celle de Nina Lachia, Chef de Projet « Observatoire des Usages de l’Agriculture Numérique », portée par la chaire Agro TIC à Montpellier. Qui a notamment insisté sur l’illusion d’une vision « unique » du numérique dans le monde agricole. Selon elle, chaque filière (grandes cultures, viticulture, élevage bovin, élevages ovins/caprins, etc.) a sa propre appréciation et opte pour des mots clés différents concernant les outils du digital : cela va de « précision » à « retard », en passant par « abstrait ». Cela étant dit, les usages du numérique dans les exploitations agricoles sont déjà très nombreux : gestion, géolocalisation, capteurs, prévisions météorologiques… Et les robots ? On en dénombre « seulement » 11 000 en France, selon Nina Lachia, principalement dans le domaine de la traite. Le développement des matériels du type « robot » s’accélère, notamment dans les exploitations dites de « grandes cultures », mais il reste conditionné par les échanges d’expérience.

La table ronde qui a suivi – à l’instar des autres débats – a mis en évidence la montée en puissance d’un « écosystème » des acteurs de l’agriculture autour des sujets du numérique, sachant qu’un écosystème recouvre une notion bien plus vaste que les relations de voisinage ou que les affinités. Quelques exemples ? Groupama en a cité plusieurs, dont celui des « huîtres connectées » : il ne s’agit pas d’une mauvaise blague, a expliqué l’assureur, car des dizaines de milliers d’huîtres sont volées chaque année, que ce soit en Normandie, sur la côte Atlantique ou en Méditerranée. Autre phénomène qui peut faire « partir les exploitations en fumée » (c’est le cas de le dire) : les incendies liés à l’auto-embrasement des ballots de paille du fait de la fermentation. En l’occurrence, Groupama a lancé des « détecteurs connectés » à placer sur les ballots. Sur tous ? « Non, répond Sylvain Lambert, Directeur Assurance chez Groupama d’Oc, ce serait impossible. Nous nous sommes fondés sur les retours d’expérience des agriculteurs et le résultat est de ne placer que quelques détecteurs témoins sur les ballots considérés comme les plus à risque. »

Agri Tech : une progression fulgurante

Dans le même esprit, Jacques Rozenblum, notamment en charge des marchés de l’agriculture chez ESRI, a souligné que les systèmes d’information géographiques (SIG) devaient pouvoir être consultés même « hors connexion » (ce qui peut être fréquent en zone rurale).

Pour la filière, le 1er avril était également une date importante car c’était le premier jour pour envoyer sa « déclaration PAC » (PAC = Politique Agricole Commune). Jean-Marc Bonato, agriculteur, Président d’une CUMA et Président de la Fédération des CUMA du Gers, a pointé du doigt le caractère « incomplet » de la couverture en téléphonie mobile. Lui-même utilisateur de nombreux objets connectés (station météo, boîtiers Karnott, GPS…) a rappelé que les agriculteurs devaient rester maîtres des données transmises à l’industrie, demande également formulée par Jean-Pierre Chanet, Directeur de l’Unité de Recherche « Technologies et Systèmes d’Information pour les Agrosystèmes » à l’IRSTEA (Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture). De son côté, André Cascailh, de la Chambre Régionale d’Agriculture d’Occitanie, a rappelé la volonté de faire de l’Occitanie la région championne de France de l’agriculture connectée, notamment via le programme OccitANum.

La montée en puissance des échanges d’expériences au sein du monde agricole peut également être précisée en chiffres. C’est ce qu’a fait Julien Brailly, sociologue à l’ENSAT (Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse) : « le nombre de plateformes dédiées aux acteurs de l’agriculture est passé de 20 en 2018 à 101 aujourd’hui ! », a-t-il indiqué. Autre point notable selon lui : les échanges entre le monde agricole et les autres sphères de la société, notamment visibles pour l’occupation des bâtiments agricoles inutilisés. Nombre d’autres intervenants, comme CERFRANCE, l’Institut de l’Elevage (Idele), ARTERIA, Agri Sud-Ouest Innovation…, ont insisté sur la forte augmentation du nombre d’interactions parmi les agriculteurs.

Les résultats de cette progression seront étudiés avec attention lors de la seconde édition du Forum de l’Agriculture Digitale et Durable, qui aura selon toute vraisemblance lieu au printemps 2020.

Pascal Boiron, MID e-news